Près de chez soi ou à l’autre bout du monde, de ces coïncidences lumineuses et étranges éclairent de sens nos chemins. C’est un regard croisé, une parole échappée, une main passée dans les cheveux, une longue discussion au coin d’une table… Cette rencontre dont je vous parle aujourd’hui en est l’illustration parfaite.
Lorsqu'il y a une quinzaine d'années je cherchais mon lieu de vie, après plus de six mois de circonvolutions autour de la région parisienne, je suis arrivée par hasard à Chaville. A cinq minutes de Paris, au coeur de la forêt, après un col montagneux, plongée dans une vallée moussue d’arbres, puis un passage sous un petit pont de pierre coiffé d’une cascade de lierre, j'ai pensé « ce sera ici »... Ignorant alors que nos vallées boisées, notre mer sylvicole, ses trésors et secrets abritent depuis plus de trente ans l’autrichien Peter Handke prix #Nobel de littérature 2019.
Quelques années plus tard, j'ai eu la chance incroyable de le croiser, d’échanger avec l’homme des bois par écrit, et de vivre des instants rares hors du temps en sa compagnie. Mais surtout de découvrir petit à petit son œuvre monumentale.
Le prix Nobel de littérature 1999 a été décerné à Peter Handke pour l’ensemble de son œuvre littéraire immense : de 1966 à nos jours une centaines de livres publiés et traduits en de nombreuses langues. Il est aussi l’auteur de traductions, scénarios, poésies, pièces de théâtre et réalisateur.
Lorsque l’on évoque ses œuvres écrites en France et plus particulièrement à Chaville, on mentionne généralement « Une année dans la baie de personne », considérée comme son œuvre majeure. La « baie de personne » dans l’imaginaire de Handke représente effectivement l’étendue boisée qui s’étend de Chaville à Vélizy, jusqu’à Versailles et plus loin tout autour de la région parisienne ouest. Il décrit avec une précision envoûtante et hypnotique la place de la gare Chaville-Velizy, la Pointe de Chaville, les commerces, les quartiers, les cafés et restaurants, la petite église orthodoxe, les étangs de l’écrevisse et l’étang sans nom, la tour Hertzienne et tous les environs. Mais cette « année » à l’image d’une vie est aussi l’occasion pour Peter Handke de revenir sur l’ensemble de ses voyages et aventures humaines.
Toutefois apparaît-il frustrant de réduire l’œuvre à cet ouvrage, et passionnant de découvrir le monde merveilleux de Handke en lisant le reste de son œuvre, ce à quoi je m’emploie avec délectation depuis quelques années. Je n’ai bien sûr pas tout lu car on m’a appris que « savourer » est le plaisir du gourmet.
Cet infatigable marcheur décrit les environs de notre vallée, la France et le monde mieux que personne. D’après un article de la BNF, Peter Handke, qui a vécu à Paris dans les années 70, est revenu s’installer en banlieue parisienne il y a plus de vingt ans. Alors pour tous les amoureux de la littérature, de la marche, de la nature et curieux de l'humain, Peter Handke met à l'honneur depuis des décennies dans ses livres la France, la région Ile-de-France et plus particulièrement Chaville et ses environs. Ainsi peut-on s'offrir un pèlerinage dans ses pas en se remémorant ses mots et descriptions comme des visites guidées de chacun des lieux évoqués dans tous ses livres.
Je peux vous recommander pour vous imprégner des promenades chavilloises, dans l’ile de France, en France et plus loin,
L’avant-dernier paru en 2022 « La dernière épée - Une histoire de mai ». Cette histoire commence à Chaville puis nous prendrons le nouveau tramway de Velizy et visiterons Port Royal des champs et son abbaye et irons jusqu’en Picardie. Comme souvent avec Peter Handke, les trajets se font à pied, ou en transports (bus, tramway) et je pense que son « épopée des bus de substitution » rappellera des souvenirs très récents à beaucoup d’entre nous.
« Histoire d’enfant » (2001) raconte l’arrivée à Chaville avec sa fille et l’intégration dans le pays et à l’école.
« Lucie dans la forêt avec les trucs machins » (1998-1999) est un petit livre qu’on trouve en double version allemand/français et se passe vraisemblablement à Chaville même si ce n’est pas mentionné.
« Essai sur le fou de champignons » (2012) navigue dans le Vexin.
« La voleuse de fruits » (2020) commence dans la baie de personne, avec une histoire très humaine, et se passe à Chaville, en Ile-de-France puis dans le Vexin
« L’heure de la sensation vraie » (2019) se passe à Paris, plutôt 16è, bois de Boulogne.
Les autres livres de P. Handke que j’ai grandement appréciés qui ne se déroulent pas en France :
Par une nuit obscure, je sortis de ma maison tranquille" : se déroule dans une ville imaginaire (?) Taxham
La courte lettre pour un long adieu (1986) Etats-Unis
La femme gauchère (1976) écrit à Paris mais se déroule en Autriche
L’oeuvre de Handke est donc immense, riche, variée et étonnante, hors des sentiers battus comme l’a pu être sa vie.
D’après sa biographie, « Il est né dans une famille de petits paysans autrichiens. Sa mère est d'origine slovène. Il n'a pas de père connu. C'est son beau-père (un alcoolique qu'il déteste) qui lui donne un nom et quatre frères et sœurs. Son enfance est marquée par la guerre ».
Mes lectures me font estimer l’arrivée de Peter Handke en région parisienne à Chaville aux alentours de l’année 1998. La majeure partie des livres qu’il a écrits ensuite se déroulent donc en France et plus particulièrement dans la baie de personne. Vous pouvez constater que la liste est longue (lbiographie et bibliographie).
Quelles impressions à la lecture de Peter Handke ?
Pour moi un voyage au coeur d’un livre de Peter Handke est une mine d’or car chaque phrase pourrait être retenue. Il donne l’impression d’en être le personnage principal et pourtant je découvre qu’il parle de moi. Le chant du train qui passe, un éclat de lumière au travers du feuillage est prétexte à une réflexion universelle. Chaque description d’un lieu, un bâtiment, une place, une maison, un quartier devient une respiration qui appelle la vibration particulière de la nature et de l’univers telle que nous l’avions perçue mais pourtant jamais exprimée.
C’est pourquoi je rêve de préservation des quartiers, monuments, forêts qui sont longuement décrites par cette voix qui nous montre le chemin. Pourquoi pas d’un parcours commenté sur les traces de P. Handke. Hélas un quartier entier va être détruit, celui de la Gare Chaville Velizy où il a posé ses valises, et il ne restera plus que les écrits pour nous représenter cette place, ces maisons, ces commerces qui ont inspiré cette immense œuvre universelle.
C’est bien dommage, mais espérons un miracle. Peter Handke ne manque pas d’humour, c’est un fait que l’on ne mentionne pas assez. J’espère que cette dernière réflexion le ferait sourire.
Ecrire sur Peter Handke, Nobel de littérature ?
Vous vous en doutez, cet article a représenté pour moi un véritable challenge. Il n’est pas facile d’écrire sur un tel personnage, une œuvre si monumentale qu’elle est reconnue par la plus haute distinction : le prix Nobel et qui fait donc l’objet de multiples études, écrits, analyses de la part de spécialistes face auxquels je n’ai bien sûr aucune légitimité. Je vous renvoie vers l’analyse de son traducteur à la fin de cet article.
Mon site a pour vocation de partager avec vous, mes lecteurs, mes expériences, mon vécu, mes inspirations. Et c’est uniquement dans ce cadre et avec cette précision que tout ce qui est écrit n’émane que d’impressions personnelles et n’a aucune valeur scientifique.
Ce jour-là, après avoir écouté un concert de crapauds à l'étang sans nom, j'ai croisé Peter Handke qui m'a offert sa cueillette. Je me suis régalée ! Merci encore.
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Goldschmidt, traducteur du Nobel
3 décembre 2019
Sa langue fait voir ce qu’on a sous les yeux et que pourtant on ne regarde jamais, le très banal devient source de nouveauté. Sa « démarche », comme celle de Rimbaud, vise à rendre sens au « langage de la tribu». Ce qu’il écrit est pour tout le monde, l’œuvre de Peter Handke s’inscrit dans les grands bouleversements de la fin du XXe siècle, marquée par l’écroulement des vérités générales et des idéologies. (...)
La langue de Handke donne une densité extrême aux éléments concrets : feuillage, branches, objets de toute sorte, mais dont la simple description rend l’extension illimitée. « L’histoire, véritable, singulière, commença un jour d’été, des semaines avant la naissance de son enfant. Quittant maison et jardin, il était allé dans les forêts sur les collines proches, le plus court chemin pour rejoindre la capitale, montant d’abord en pente douce puis redescendant de façon plus raide. » (…)
La splendide langue de Peter Handke, moderne et goethéenne, où pas un mot n’est perdu, pas un mot n’est vain, mène au cœur de ce qu’elle dit. Sans détours et sans apprêts, elle est toujours située en plein paysage, quelque part dans l’entourement géographique qui le fonde : le paysage est une consistance de l’être et non un simple spectacle, il est la matière des lieux nommés, cette fois ce sont Chaville, au sud de Paris, et Marquemont, dans le Vexin, au nord. L’œuvre de Peter Handke est une sorte de regard circulaire qui capte l’essence des choses. La diversité du monde en est le contenu au fil des occasions qu’offrent la vie quotidienne, les voyages ou les marches à pied. Ses derniers livres comme La voleuse de fruits continuent cette reconstruction du monde. (…)
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Ma chère Laurence, je reçois ce nouvel article comme un véritable cadeau et j'imagine le défi que tu as relevé en le rédigeant. Je vais le mettre en lien dans "Bonnes raisons de lire Le Fou de Champignons", une chronique de mon Blog. Merci infiniment. Catarina Viti.