18 mai 2021

#ecrireapropos

#ecrireapropos Il y avait bien longtemps que je n'avais rien écrit. Écrire sur quoi, écrire pourquoi, tout cela avait fini par perdre son sens ; lorsque je me rendis compte qu'écrire pour qui était la vraie question. Or, "pour qui" s'était caché aux premières sirènes du confinement et restait calfeutré chez soi en prenant soin de ne prendre l'air de rien du tout, ni d'un con et sûrement pas finement. On avait fini, en ce temps là, par ne plus rien lire d'autre que les actualités sur la qualité de l'air qu'il ne fallait surtout pas respirer. Alors autant dire que mes petites histoires n'intéressaient plus personne. Pourtant, j'en parlais parfois, mais ça n'avait l'air de rien. Alors quand un jour mon amie Catarina Vitti, auteure de talent, me dit, « il faut que tu viennes avec nous écrire à propos  », je me demandai : « pourquoi donc ? Et pour qui ? », encore une fois. Et puis après tout, me dis-je, Catarina, même si elle écrit parfois des choses un peu étranges, elle a du talent et je voue une confiance absolue aux personnes qui détiennent cette extraordinaire et rare qualité. Alors, me dis-je encore, arrête de te poser des questions, saisis ton stylo et fais ce que Catarina te dit. J'ai donc tombé le masque et attrapé mon clavier, le stylo c'est pour les vieux, et j'avais envie d'aller de l'avant. Assise bien droit face à mon écran, je tremblai un peu, mais courageusement les doigts se mirent à courir sur le clavier dans un clapotis rassurant. "à propos" Voilà je l'avais écrit et a présent j'attendais. Il devait se passer quelque chose. C'était obligé. Effectivement le ciel s'obscurcit et il se mit à pleuvoir des chats et des chiens, comme dit mon ami d'outre manche. Dehors, bien entendu. Moi, j'étais au chaud, devant mon écran. Bien au milieu trônait mon "à propos" Et voilà que me revenait les sempiternelles questions. À propos de quoi, à propos de qui ? J'entendis la voix de Catarina dans mon dos qui me grondait "mais arrête avec tes "qui quoi" pourris" et un éclair zébra le ciel. Je trouvai cela bizarre car je n'avais jamais entendu la voie de Catarina mais pourtant elle était là à côté de moi, je pouvais toucher le voile soyeux de son étole alors que le tonnerre grondait et que la terre mouillée crépitait sous mes doigts dans des effluves d'humus. J'imaginai dans la forêt la surface de l'étang se creuser sous les gouttes et j'entendais à présent les oiseaux se cacher et se taire. À ce propos, cet après midi au bord du lac, j'avais discuté avec un autre promeneur, "à propos" des bernaches, foulques et de leur hypothétique descendance qui ne tarderait pas à découvrir la vie sur terre, les insectes et plantes  à picorer,  les arbres et roseaux pour fournir les abris et l’eau où s’ébattre et vivre enfin. Et puis il m'avait avoué sans ambages aux détours d’une phrase, qu'il écrivait des nouvelles en latin. « En latin ! Mais pour qui, pour quoi ?», m'écriais-je ! « Mais pour faire vivre la langue, pour qu'on me lise et plein d'autres choses encore », je crois bien que c'est en substance ce qu'il m'avait répondu. « Mais qui vous lit ? », m’étonnais-je encore. « Les gens qui lisent le latin ». « Sont ils beaucoup ? » « Beaucoup plus que vous ne le pensez », dit-il simplement. « J’écris aussi, » rétorquais je piquée au vif. « Ah et qu’écrivez-vous donc ? » me questionna-t-il à son tour alors qu’un canard riait dans la mare. « Des romans ». « Pour quoi pour qui ? », me renvoya-t-il de but en blanc, à croire que finalement tout revenait à ces question. « Mais pour les lecteurs ! » «Ah », conclut-il, songeur, comme s’il ne venait pas de dire exactement la même chose. « Et "à propos" de quoi écrivez-vous ? ». Catarina était penchée au dessus de mon épaule, elle surveillait le bonhomme et je la vis froncer les sourcils. Décidément c'était une idée fixe ! Mais c’était son idée aussi, et elle avait raison. J'avais écrit "à propos" et depuis les éléments se déchaînaient. Mes mains couraient sur je clavier. La pluie cognait aux carreaux. Je sentais les ailes mouillées des pigeons s’ébrouer au dessus de moi. Une odeur si particulière. Un peu la même que celle d' un livre qu'on referme. A ce propos je venais de finir « Salina » de Laurent Gaudé. Et alors je compris, car c'est parfois plusieurs heures après que tout se lie comme les lettres unes à une pour former la réponse. Le message était dans le texte. On écrit pour raconter une histoire. Pour transmettre. C'est un besoin ancestral, venu du fond des âges. Passer le relai, raconter la mémoire puis l'offrir et la laisser aux autres qui à leur tour la mêleront à leurs souvenirs. Voilà merci Monsieur Gaudé pour cette explication, vous qui savez en faire un vrai roman, l'académie vous a bien choisi mais ce sont vos lecteurs que vous comblez. Merci Catarina, la forêt, l'orage et le promeneur de la forêt. Alors voilà. C'est vrai finalement, on n'écrit pas "à propos" impunément. Car il faut encore savoir comment l'écrire. Et ça de nos jours c'est pas facile car il ne faut blesser personne. Sinon la foudre s’abat sur vous. Alors me dis-je j' avais peut être écrit à propos de la mauvaise façon. Et que vont penser ceux à qui j'ai emprunté les pensées si je les ai mal retranscrites ? A-t-on le droit de parler d’un canard, d’un arbre, de la pluie, d'un promeneur ? N’est-ce pas offensant ?Et qu’a-t-on encore le droit de faire, de penser, pourquoi pour qui et à propos de quoi et de qui ? Vais-je me faire traiter de complotiste ? Et l'orage grondait toujours, de plus en plus. Alors j’effaçai les lettres une à une et je revins au début. "écrire à propos" Je vis l'ombre de Catarina s'enfuir avec mes mots imprimés sur son étole. Elle s'envola et passa devant la lune naissante. Le ciel s’éclaircit enfin et les pigeons se mirent à roucouler. Une odeur de bain moussant caressa mes doigts. À propos... Le hashtag s'était envolé de mon clavier... Et vous, quelle est votre histoire ?